Bonjour Christian, merci d’avoir accepté cette interview. Nous voulions profiter des 10 ans de ton microscope pour faire un point avec toi au sujet de ton laboratoire et de ton utilisation de l’ARM200F.
Commençons par une présentation de ton labo et de ton équipe.
Présentation de l’équipe
En 2000, j’ai créé l’équipe Microscopie Electronique Avancée et NanoStructures (Me−ANS) au sein de la fédération de recherche Matériaux et Phénomènes Quantiques, nouvellement créée. Initialement composée d’Emmanuel Fort et de moi-même, j’ai pu étoffer l’équipe en recrutant un nouveau maître de conférences, Cyril Langlois en 2004, année où j’ai été nommé Professeur à l’université Paris Diderot. Durant la période 2004-2009, nous avons développé nos propres thématiques de recherche en sciences des matériaux grâce au développement d’un bâti sous ultravide pour la croissance des matériaux tout en continuant d’avoir une activité soutenue en microscopie électronique quantitative. La période 2009-2016 a vu une complète refonte de l’équipe. Cyril Langlois et Emmanuel Fort ayant rejoint d’autres laboratoires : Emmanuel est parti à l’ESPCI pour fonder sa propre équipe et Cyril a rejoint l’INSA de Lyon. Jasyen Nelayah a rejoint l’équipe en tant que maître de conférences en 2009, Damien Alloyeau en tant que CR au CNRS en 2010 et Guillaume Wang en tant qu’ingénieur de recherche à l’université Paris Diderot en 2010. Nous accueillons en permanence deux ou trois thésards par an ainsi qu’un ou deux visiteurs de longue durée (post-doc ou visiteur senior).
Quelles sont les thématiques principales sur lesquelles tu travailles ?
Nous travaillons sur différentes thématiques, mais toutes sont liées aux matériaux et à leur compréhension :
- Structures et propriétés thermodynamiques de nano-alliages
- Réactivité de nano-alliages en microscopie operando
- Croissance en milieu liquide par microscopie operando
Récemment nous avons étendu notre domaine de compétences à la biologie en étudiant l’Interface physique / biologie.
Quels sont les aspects de ton métier qui te passionnent le plus ?
Indiscutablement, les observations de phénomènes inattendus ou que personne n’a encore jamais vu.
Il y a également les interactions avec des collaborateurs qui vous expliquent ce qu’ils veulent essayer de comprendre et les discussions qui en résultent pour déterminer quelle stratégie expérimentale on va mettre en place sur le microscope pour voir / mettre en évidence le phénomène recherché. Souvent, il faut faire preuve d’audace et d’une très grande ingéniosité pour observer les phénomènes en question.
Enfin, il y a tout ce qui concerne le montage de projets et de réseaux autour d’une thématique scientifique donnée qui permet d’animer un groupe qui va travailler avec un même objectif. Lorsque ce travail d’équipe fonctionne de manière optimale, alors c’est la clé de la réussite.
Quel est ton meilleur souvenir sur ce microscope ?
Les premières images d’atomes uniques sur une surface avec la possibilité, via une analyse quantitative du contraste des images, de déterminer leur nature chimique. C’était impossible avant de faire ce type d’imagerie sur les MET conventionnels car on travaillait, en haute résolution, dans des conditions de focalisation trop éloignées du zéro focus, ce qui impliquait une forte contribution du support au contraste des images. Avec un correcteur d’aberration de la lentille objectif, on travaille quasiment au focus zéro, ce qui implique que le contraste d’un support de carbone amorphe très mince est très faible et surtout uniforme sur toute la plage de l’image. On peut alors observer des détails très fins, liés à de faibles variations du contraste, sur cette surface.
En second lieu, le couplage d’une lentille UHR (Ultra High Resolution), d’une source d’électrons très cohérente (cathode froide) et du correcteur d’aberration a permis de réaliser des images à haute résolution avec un contraste et une résolution spatiale exceptionnelle. Cet ensemble forme assurément la meilleure configuration aujourd’hui pour l’imagerie MET à ultra haute résolution. En 2010, La résolution ponctuelle est de 75 pm à 200 kV et de 100 pm à 80 kV. La résolution ultime atteignable à 200 kV est inférieure à 50 pm.
Quelles sont pour toi les deux recherches les plus marquantes réalisées sur l’ARM de ton laboratoire ?
Il est très difficile de résumer l’ensemble de nos travaux en ne citant que deux publications tant nos recherches sont variées et ont aboutis à plusieurs publications de premier plan au niveau international. Mais bon, si je ne devais en citer que deux, ce serait les suivantes :
Unravelling Kinetic and Thermodynamic Effects on the Growth of Gold Nanoplates by Liquid Transmission Electron Microscopy
D. Alloyeau, W. Dachraoui, Y. Javed, H. Belkahla, G. Wang, H. Lecoq, S. Ammar, O. Ersen, A. Wisnet, F. Gazeau and C. Ricolleau
Nano Letters, 15 (4), 2574-2581 (2015)
La croissance de nanoparticules colloïdales est simultanément gouvernée par des effets cinétiques et thermodynamiques qui sont difficiles à distinguer. Pour démêler les mécanismes qui influencent la formation des germes et la morphologie des nanoparticules, nous avons développé des expériences de microscopie électronique en transmission à balayage en milieu liquide. Ces expériences, complètement originales en France, nous ont permis d’étudier la croissance de nanostructures d’or anisotropes par radiolyse de l’eau. La dose d’électrons fournit un contrôle direct de la vitesse de croissance qui permet de quantifier les effets cinétiques sur le mécanisme de nucléation / croissance des nanoparticules bidimensionnelle (nano-plaquettes). En effet, nous avons montré que le taux de réaction par unité de surface a le même comportement en fonction du débit de dose que la concentration des agents réducteurs dans la cellule liquide. Nous avons également déterminé qu’il existait un taux critique de monomères d’or, correspondant à trois monocouches par seconde, à former pour induire le facettage des nanoparticules au-dessus duquel la formation de nanoplaquettes n’est pas possible parce que la croissance est alors dominée par des effets cinétiques. À de faibles doses d’électrons, la croissance est pilotée par la thermodynamique et la croissance des nanoplaquettes est directement liée à la formation de plans de macle au cours de la croissance.
Reshaping Dynamics of Gold Nanoparticles under H2 and O2 at Atmospheric Pressure
A. Chmielewski, J. Meng, B. Zhu, Y. Gao, H. Guesmi, H. Prunier, D. Alloyeau, G. Wang, C. Louis, L. Delannoy, P. Afanasiev, C. Ricolleau, J. Nelayah
ACS Nano, 13, 2024-2033 (2019)
La nature des sites actifs pour l’adsorption et la dissociation de l’O2 et de l’H2 par des nanoparticules d’or (NPs) supportées reste un problème non résolu en catalyse hétérogène. Cela s’explique par l’absence d’une vision claire de l’évolution structurale des NP d’or dans des conditions proches de la réaction, c’est-à-dire à des pressions et des températures élevées. Dans ce travail, nous avons étudié l’évolution des formes d’équilibre de NP d’or supportées sur du rutile sous O2 et H2 à la pression atmosphérique en utilisant la microscopie électronique en transmission environnemental sous gaz. Les observations in situ montrent des changements instantanés de la forme d’équilibre des NPs d’Au pendant le refroidissement sous O2 de 400 °C à la température ambiante. En comparaison, aucun changement instantané de la forme d’équilibre n’est observé sous H2. Pour interpréter ces résultats, la forme d’équilibre des NPs de Au sous O2, oxygène atomique et H2 a été calculée en utilisant un modèle de reconstruction de structure à plusieurs échelles en collaboration avec Hazar Guesmi (Institut Charles Gerhardt, Montpellier, France) et Beien Zhu (Académie des Sciences, Pekin, Chine). L’excellent accord entre les observations de microscopie et la modélisation théorique des NP d’Au sous O2 a fourni des preuves solides de l’adsorption moléculaire de l’oxygène sur les NP d’or à 120 °C sur des facettes spécifiques de l’Au. Dans le cas de H2, la modélisation ne prédit aucune interaction avec les atomes d’or, ce qui explique la grande stabilité morphologique des NPs sous ce gaz. Cet article fournit des informations structurales atomiques pour la compréhension fondamentale des propriétés d’adsorption de O2 et H2 sur des NPs d’Au dans des conditions réelles et propose un moyen d’identifier les sites actifs de nano-catalyseurs hétérogènes en conditions de réaction en étudiant la reconstruction de la structure.
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Récemment, ton ARM200F a reçu une cure de jouvence. Pour résumé, ton ARM200F corrigé TEM a été upgradé en NEOARM, i.e. double corrigé avec la dernière génération de correcteur STEM ASCOR, et dernière génération de détecteur EDS. Le tout ayant été réalisé sur site dans ton laboratoire. Quels sont tes retours au sujet de cette upgrade ?
C’est une excellente opération pour nous car nous avions absolument besoin de passer au mode STEM à haute résolution pour tous nos récents développements sur la physique des nanoalliages et également pour répondre à la demande croissante pour ce mode de microscopie des utilisateurs de la plateforme de microscopie avancée de l’Université de Paris et de METSA.
L’opération a duré un an puisque tout a été réalisé sur site et la crise sanitaire est passée par là. Nous avons bénéficié du travail soutenu de Jean-Paul Derouet et de Matsuzaki-San qui ont tous deux travaillé en très bonne symbiose pour que l’installation se déroule bien.
Ce que j’ai beaucoup apprécié est la phase de travaux pour préparer les salles (celle du microscope et le local technique) qui a été entièrement prise en charge par JEOL qui a donc assuré la maîtrise d’ouvrage. Les travaux ont été effectués par des professionnels, qui assurent en plus un très bon service après-vente, ce qui fait que l’environnement technique de la machine est excellent. Nous en avons profité pour faire installer la dernière génération de correcteur de champs magnétiques actif JEOL, améliorant ainsi grandement l’environnement de travail du microscope.
Que penses-tu du nouveau correcteur ASCOR ?
C’est un correcteur très performant aussi bien à 200 kV qu’à 80 kV qui s’aligne facilement. Il a également l’avantage d’être stable dans le temps, ce qui implique, que si on ne souhaite pas aller aux limites de l’appareil, il n’est pas utile de reprendre le correcteur d’une expérience à l’autre.
Combien de personnes as-tu formé sur l’ARM ?
Environ une vingtaine depuis 2012. Il y a eu 11 thésards formés dans l’équipe et une dizaine d’autres formés lors de collaborations avec d’autres groupes soit internes à l’université de Paris soit au niveau national.
Je me souviens de l’école TEM que tu as organisé, envisages-tu une nouvelle édition ?
Oui nous envisageons de réitérer l’évènement avec une partie sur la microcopie operando et une partie sur l’analyse de données avec l’intelligence artificielle. Nous sommes en train d’apprendre ces nouvelles techniques donc pour le moment pas de date de prévue.
En mai dernier tu as fêté les 10 ans de l’installation de ton ARM. Tu as été le premier à avoir un Cold FEG, quels sont tes retours sur ce canon ?
Rien à dire, ce canon est excellent à la fois par la simplicité d’utilisation, sa stabilité et ses performances. Nous avons actuellement une pointe qui va bientôt avoir 10 ans qui fonctionne comme au premier jour avec un seul Flash par jour et qui fournit d’aussi bons résultats que lors de l’installation du canon.
Pourquoi avoir choisi un Cold FEG ?
Initialement, c’était pour avoir un STEM de bonne qualité tout en ayant optimisé l’imagerie TEM avec le correcteur. Après coup, il s’est avéré que le couplage de la lentille UHR avec une très faible aberration chromatique et la très grande cohérence du canon Cold FEG permettait de faire de l’image à ultra haute résolution avec un contraste égalé par aucune autre machine actuellement sur le marché. Avec ce premier instrument prototype (2010), nous avons pu atteindre des résolutions ultimes de 0.26 eV à 200 kV et de 0.23 eV à 80 kV avec un courant de sonde de 0.5 µA.
Quels changements technologiques marquants du monde scientifique as-tu pu constater pendant ta carrière ?
Le changement marquant dans ma carrière a été le développement puis la commercialisation des correcteurs d’aberrations pour les microscopes. J’ai eu la chance de débuter ma carrière dans un laboratoire privilégié (LEM, unité mixte CNRS/ONERA) puisque c’était l’un des deux seuls laboratoires français à être équipé d’un microscope à 400kV. Bien que cet instrument m’ait permis d’obtenir de bons résultats pour mes travaux, il était limité en termes de résolution et du rapport signal/bruit des images à haute résolution. L’arrivée des correcteurs d’aberrations a été une vraie révolution dans le domaine de la microscopie électronique puisqu’on pouvait voir mieux et plus loin, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles recherches qu’on n’avait pas pu imaginer jusque-là faute d’instruments adéquats. Aujourd’hui la résolution ponctuelle à 200 kV se situe autour de 75 pm pour les meilleures configurations et pour le moment cette performance a suffi pour résoudre toutes les questions sur lesquelles je me suis penché récemment. L’avenir nous dira s’il faut aller encore plus loin en termes de résolution spatiale. Il y a bien évidemment aussi les progrès considérables qui ont été fait dans les sources d’électrons tant au niveau de leur brillance que de leur dispersion en énergie. Sur l’ARM, lorsqu’on se place dans les bonnes conditions pour la spectroscopie de perte d’énergie des électrons, on peut atteindre en routine une résolution de 0.3 eV, ce qui nous permet par exemple d’étudier les propriétés plasmoniques de nanostructures individuelles.
Et le futur…
C’est probablement la question la plus délicate de cet entretien car nous venons juste d’être équipés avec une nouvelle machine, finalement, avec ses deux correcteurs d’aberration. Personne ne comprendrait que je dise déjà quels sont les besoins que j’ai pour le futur. En plus, j’ai toujours procédé ainsi pour les autres projets que j’ai montés. À partir d’un instrument donné, il faut faire plein d’expériences pour se rendre compte des limitations, de ce qu’il manque pour aller plus loin et imaginer quel serait le futur microscope que l’on voudrait acquérir. On va donc procéder ainsi avec le Super TEM 2. Travaillons quelques années avec en le poussant dans ses retranchements les plus extrêmes pour voir là où il pêche et ce qu’on ne peut pas réaliser avec lui. Ensuite nous pourrons imaginer quel sera le futur du développement de la microscopie électronique à l’Université de Paris.
Ok, on reprend rendez-vous pour dans 5 ans.